« Voila une leçon de littérature. »


A lire les points de vue de lecteurs qui précèdent cette critique [sur Babelio], on pourrait croire que le roman de Marlène Tissot est simplement le récit édifiant d'une enfance et d'une adolescence difficiles, attestant à la fois de la souffrance et de l'impossibilité de s'arracher la misère d'une donne initiale, où l'on peut comprendre que tout est dit du futur de la narratrice, puisqu'il ne sera que la réplique de l'histoire dont elle est l'héritière et la victime. Si ce n'était que cela, nous serions dans un avatar de roman noir, moins larmoyant que les « Deux orphelines » et non moins désespérant que « le Pain noir… » Bref du déjà vu, édifiant certes, mais sans plus.
Mais voila : c'est un roman, un vrai.
Fidèle à ma règle, je l'ai relu trois fois. Et ce texte supporte l'épreuve, d'autant plus que la conduite de récit nous y invite. Il faut la penser à la manière d'un « jeu de l'oie ».
J'ai donc fait en lecteur soumis, une première lecture dans l'ordre, je veux dire dans l'ordre du « maillage » arrêté par l'auteure
Puis une seconde lecture, pas très originale, puisque j'ai suivi l'ordre chronologique (huit ans, neuf ans etc… jusqu'à 19 ans, en « détricotant » l'ordre voulu par Marlène Tissot.
Enfin, une troisième lecture, aléatoire car chacun peut inventer son parcours. Personnellement j'ai choisi une lecture en continu des petits textes en frontispice de chaque chapitre. Ce n'est pas sans rappeler les résumés liminaires que l'on trouvait en tête de chapitres dans les romans anciens… « où l'on apprend que… etc. » Ces petits textes, présentés en écriture scripte créent un effet de distanciation poétique par rapport au récit.
Voila une leçon de littérature. Car ce n'est pas un récit factuel d'une enfance malheureuse. C'est encore moins une autobiographie, rien ne nous permet d'affirmer qu'il s'agit d'un vécu. Et si c'était le cas, il s'agit plus d'une réappropriation par l'écriture d'une histoire vécue (par une narratrice imaginaire ? par l'auteure ? Nous n'en saurons rien, et peu nous importe : nous n'avons que ses mots) ou imaginée qui sonne comme une résilience :
« Tu m'as donné ta boue, et j'en ai fait de l'or »

La dernière « didascalie-titre » de l'ultime chapitre du roman nous en fournit la clef :
« le goût de liberté des premières
nuits passées dehors
les étoiles qui pétillent 
sur la chevelure noire du ciel
la caresse du vent
et cette petite sensation de jouissance
en se disant qu'on ne laissera plus jamais
jamais personne
nous dire ce qu'on doit faire »
(p. 145)

Maille « à l'endroit, maille à l'envers » ça marche.


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